Partage Chronique d’une cabane en pierre en location : de la magie du rudimentaire à l’ère du confort

jim

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4 Mars 2008
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Canada, Vancouver
La cabane
C’était une baraque en pierre, un abri agricole planqué dans les bois, un truc d’avant, solide et brut. On y entassait le foin, les bêtes, les outils. Peut-être qu’un ou deux gars y avaient dormi, autrefois, quand il fallait veiller la récolte ou se planquer du vent. Elle était là, posée sur sa butte, à attendre.

Quand j’ai commencé à la louer, elle était restée telle quelle. Sommaire. Pas d’électricité, pas d’eau courante. Juste des bougies, des lampes-tempête au pétrole qui noircissaient les murs et puaient un peu, mais c’était ça, le charme. Les gens arrivaient, hésitants, balançaient leur sac, testaient la rudesse du lit, ouvraient la porte sur la forêt et se laissaient faire. Ils s’organisaient avec la lumière du jour, prenaient leur temps. Le soir, ils lisaient à la lueur des flammes, des bouquins pris dans la bibliothèque éclectique qui traînait là, des histoires de grands espaces, de fuites en avant. Ils ne le disaient pas toujours, mais je le voyais. Une joie brute, un étonnement presque enfantin, comme s’ils découvraient un truc oublié, un truc qui faisait du bien.

Puis j’ai fait l’erreur. Un panneau solaire, un régulateur, quelques lampes qu’on pouvait allumer d’un simple clic. Un luxe minuscule, juste de quoi recharger un téléphone, de quoi ne pas se cogner en pleine nuit. Je me suis dit que ça simplifierait la vie, que ça rassurerait les plus frileux. Et ça a marché, évidemment. Plus personne ne râlait sur la lampe qui fume, sur le noir qui tombe trop tôt. Mais un truc avait disparu.

Toujours des sourires, toujours des remerciements. Mais plus la même flamme dans le regard au moment du départ cette flamme venue des bougies de la lampe tempête. Ce moment où, avant, les gens s’accrochaient à leur sac comme s’ils hésitaient à repartir. Maintenant, ils partaient comme ils étaient venus, légers, comme après un week-end à la campagne.

La clientèle a changé aussi. Avant, j’avais des gamins de vingt-cinq ans, prêts à en découdre depuis la ville, à tester leur résistance, à jouer aux Robinsons. Maintenant, c’est des quadras, des types qui ont vu du pays, qui veulent juste un endroit "authentique", mais pas trop. Ils aiment bien le concept, mais faut que ça reste pratique. Ils ne cherchent pas le jacuzzi, mais faut quand même que ça tienne la route.

Et moi, même moi, je ne pourrais plus revenir en arrière. Parce qu’une fois que tu mets un interrupteur, que tu règles un détail, t’as foutu en l’air la mécanique. Et la cabane est toujours là, posée sur sa butte, mais elle n’est plus tout à fait la même.
 

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